Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Michel Marc Bouchard
au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 7 juin 2014

Dans ses racines, bien ancrées dans le lieu nommé Mistouk, mot d’origine montagnaise signifiant morceau de bois, le dramaturge Michel Marc Bouchard semble y puiser son étonnante capacité de faire flèche de tout bois. Son impressionnante carrière en témoigne. Ses œuvres, traduites en plusieurs langues, sur la scène comme au cinéma, ont été primées de nombreuses fois. Reconnu pour être un des auteurs les plus joués sur la planète, il se révèle universel sans jamais occulter ses origines. La géographie de ses drames les plus percutants le confirme : la pièce Les Feluettes, qui a propulsé sa carrière, se passe à Roberval, Les Muses orphelines à Saint-Ludger-de-Milot, Le peintre des Madones se trouve à Saint-Coeur-de-Marie. Sa région natale est manifeste dans Le chemin des Passes-Dangereuses et dans Les porteurs d'eau. On pourrait même croire être en terre jeannoise avec Tom à la ferme.

Plonger dans le passé de Michel Marc est dangereux. On risque fort la séduction tant il y a d’intensité dans ses écrits comme dans ses souvenirs glanés dans les quelques 3600 articles des seuls journaux québécois parlant de lui. Né À Saint-Cœur-de-Marie le 2 février 1958, ce fils de René Bouchard, agriculteur et boucher, et de Madeleine Fleury, enseignante et couturière, évoque ses souvenirs d’enfance : l’odeur de ses réveils à l’aube des vendredis alors que sa fenêtre donnait sur l’abattoir paternel; ses mises en scènes théâtrales dont ses trois sœurs étaient les vedettes et, plus tragique, la mort de sa petite sœur de quatre ans, lui qui en avait six. Il se rappelle le roman érotique de ses 12 ans ainsi que sa première pièce inédite Scandale écrite à 14 ans. L’âge où l’adolescent prend la mesure de la solitude dans laquelle son homosexualité risque de l’enfermer. Il avoue se servir des mots pour contrer son isolement dans ce Lac-Saint-Jean, ce bout du monde, ce grand désert blanc ou vert selon la saison.

De 1977 à 1980, il étudie en tourisme au Cégep de Matane. Il y fonde la troupe de théâtre La Séance pour laquelle il écrit, met en scène et joue trois pièces : Mortadelle, Angélus et Dans les bras de Morphée Tanguay. «Un dramaturge nous est né? Du moins nous le croyons!», s’exclame Pauline Cadieux dans La Voix Gaspésienne de mars 1978, après avoir vu Angélus.

Le théâtre s’impose. Michel Marc aurait pu choisir l’archéologie ainsi que l’histoire. D’une certaine manière, il ne renonce à aucun de ses désirs. L’archéologue fouille les tréfonds de l’âme, l’historien piste les histoires d’une humanité dont il cerne si bien les blessures. Ses propres cicatrices sont les strates de sa dramaturgie. Son extrême sensibilité doublée d’une indéniable authenticité confère à ses écrits une charge émotive dont on ne revient jamais indemne. Ses personnages bousculent les préjugés, arrachent les œillères des vérités complaisantes, créent un chaos dans nos esprits, déchirent le voile de nos certitudes et nous confrontent à la douleur cruelle de la différence et de l’amour.

Détenteur d’un baccalauréat en théâtre de l’Université d’Ottawa, où il a connu son mentor Dominique Lafon, Michel Marc multiplie les expériences d’acteur, d’auteur et d’animateur dans les théâtres francophones de l'Ontario, dont le Théâtre du Centre national des Arts du Canada que dirige André Brassard. Ce metteur en scène qui a révélé Michel Tremblay crée plusieurs pièces de Michel Marc Bouchard, La contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste en 1983, suivie de La poupée de Pélopia et, en 1987, Les Feluettes qui lance véritablement la carrière du Jeannois. «Les Feluettes captive par son intensité dramatique, bouleverse par l'authenticité des émotions et le lyrisme des sentiments. On pense à Molière pour la noblesse et l'âme des personnages, à Shakespeare pour la complexité du drame amoureux et à Genet pour la représentation poétique du désir homosexuel», commente le critique Luc Boulanger. Primée plus de 20 fois, présentée sur plusieurs continents, cette pièce n’est que le prélude à d’autres grands succès, tout autant primés et acclamés, que l’on pense à L’histoire de l’oie jouée en Allemagne et en Norvège, à la pièce Les Muses orphelines portée à l’écran par Robert Favreau, Tom à la ferme repris avec succès par le jeune réalisateur Xavier Dolan ou Christine, la reine-garçon dont l’auteur signe un scénario pour une grande production cinématographique internationale qui sera réalisée par Mia Kaurismäki.

Tous ces honneurs, toute cette célébrité n’ont jamais entravé la route du Parc des Laurentides menant Michel Marc à sa région natale. Il a contribué aux débuts du théâtre Mic-Mac de Roberval en y créant Le Retour de Frank Paradis. Maître d’œuvre d’importantes expositions historiques et thématiques, c’est dans sa région qu’il a commencé avec Le Musée éphémère de Saint-Cœur-de-Marie, inauguré par l’historien Mgr Victor Tremblay, et Le Couvent 1929, projet d’animation historique. En 2002, il assure la direction artistique de l'exposition permanente sur Maria Chapdelaine au musée Louis Hémon de Péribonka. Il est porte-parole du Prix Damase-Potvin en 1994, ainsi que du Festival intercollégial de théâtre au Cégep de Jonquière en 2007. Cette même année, il écrit la fresque historique du Palais municipal de La Baie La nouvelle fabuleuse ou les aventures d’un Flo.

Au fil des ans, Michel Marc est directeur artistique du théâtre Trillium, président du Centre des auteurs dramatiques, professeur à l’Université d’Ottawa et à l’Université du Québec, membre du Bureau des gouverneurs de la Fondation Émergence, membre de la campagne de financement de Groupe de Recherche et d'Intervention Sociale, membre de Greenpeace, d’Amnistie internationale et de la Fondation Rivières ainsi que parrain de la rivière Shipshaw.

Boursier du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des Arts de l’Ontario, du ministère de la Culture du Québec et de la Fondation Beaumarchais (Paris), récipiendaire des Prix du Gouverneur général pour les arts de la scène, Prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre, Prix de l’association mexicaine des critiques de théâtre, Prix Dora Mavor Moore, Prix Floyd S.Chalmers et Prime Arte Candoni en Italie, il a été reçu Officier de l’Ordre du Canada en 2005 et Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2012.

Un parcours extraordinaire. Un auteur exceptionnel. Une œuvre monumentale et certainement un formidable ambassadeur.


Le 7 juin 2014
MICHEL MARC BOUCHARD

Dramaturge de réputation internationale
Homme de cœur et de théâtre exceptionnel

fut reçu membre de l’Ordre du Bleuet

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samedi 13 novembre 2021

Discours du dramaturge Michel Marc Bouchard lors de la réception du Prix Athanase-David



Le 10 novembre, Michel Marc Bouchard a reçu le prix Athanase-David (littérature)


Créés en 1977, les Prix du Québec représentent la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec dans les domaines de la culture et de la science. Ils soulignent l'œuvre ou la carrière remarquable de personnes qui contribuent à l'essor de leur domaine d'activité, repoussent les limites de la connaissance et participent au rayonnement du Québec à l'échelle internationale. Michel Marc Bouchard, Officier de l'Ordre du Canada, Chevalier de l'Ordre national du Québec, Compagnon des Arts et des lettres du Québec, membre de l'Académie des Lettres du Québec et de l'Ordre du Bleuet, a écrit plus de 25 pièces, toutes créées à la scène. (Source)


Le discours de Michel Marc Bouchard

 à la réception du Prix Athanase-David 2021

Prix du Québec – littérature – 


C’est avec des sentiments contradictoires que j’ai réagi à l’annonce de cet honneur. Cet honneur, le plus important de ma carrière. Partagé entre une profonde humilité et une fierté démesurée, je ne cessais de me répéter; pourquoi moi?


Je tiens donc à souligner l’audace du jury d’avoir choisi un dramaturge. Nous avons la constante impression que le monde littéraire ne s’intéresse pas suffisamment à la dramaturgie à n’en laissant la reconnaissance qu’au monde du spectacle. Aujourd’hui, c’est par mon œuvre que ma nation souligne à nouveau l’importance du travail de l’écrivain scénique.


Il est vrai que nos œuvres sont créées avant tout pour être jouées, non pas pour être lues. Il n’en demeure pas moins que notre approche, nos recherches, notre travail et notre solitude sont en tous points comparables à toutes les autres démarches d’écriture.


Les auteurs de théâtre sont porteurs de la parole, de la poésie, du conte, du jeu. Ils sont porteurs du pays. Ils sont la pensée au cœur de la Cité. Ils mettent en scène l’intime tout comme le collectif. Ils sont fantasmes, paradoxes. Ils sont tradition et modernité. Et ils ont ce sublime talent de savoir écrire les plus beaux silences dans ce monde qui est de plus en plus bruyant.


Dans cette curieuse écriture qui s’incarne dans une chaîne d’abandons et d’interprétations par le biais des artistes de l’éphémère que sont les acteurs et les actrices, nos mots ne cessent de se transformer dans chacune des rencontres avec l’Autre.


J’ai écrit ma première pièce à l’âge de quatorze ans au lac Saint-Jean, ma région natale, celle de l’accent qui chante. Depuis, mes histoires locales et personnelles se sont misent à voyager. À l’instant où je vous parle, on répète une de mes pièces à Bucarest, on en joue une autre à Paris, un autre est en tournée au Brésil… et à Saint-Jérôme, ce soir.


Il est sûrement indécent de recevoir une telle considération pour quelque chose qu’on a toujours aimé faire et qu’on a aimé que je fasse. Un écrivain ne devient pas ce qu’il veut devenir sans l’estime et le support de ses proches, de ses amis, de la critique et de ses mentors. Je veux donc remercier mes parents et mes sœurs et tous ceux et celles qui ont cru en moi du Lac-Saint-Jean à Matane, d’Ottawa à Montréal. Je veux remercier André Brassard, Dominique Lafon, Linda Gaboriau, Serge Denoncourt, le Théâtre d’Aujourd’hui, le Théâtre de la Bordée, Lorraine Pintal et le TNM, la famille Goodwin, mon fidèle ami et éditeur Pierre Fillion de Leméac et ces milliers d’artistes qui ont incarné mes pièces depuis quarante ans.


Je dédie ce prix à mon amoureux de tous les matins, Louis Gravel, médecin de famille, dont la dévotion aux autres et le don de soi sont des leçons de vie.


J’écris dans une langue fragile de l’extérieur mais aussi de l’intérieur. Je souhaite que la refonte de la loi 101 et que celle du statut de l’artiste deviennent avec l’environnement les plus importantes priorités de notre gouvernement.


Alors à la question pourquoi moi, je réponds: Je fais l’un des plus beaux métiers du monde et en plus, je gagne l’un des plus beaux prix du monde. Alors, pourquoi pas?


Michel Marc Bouchard

Québec, 10 novembre 2021


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POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET

L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.